Toutes les fois que l’on évoque le terme de Méditation, surgit immédiatement en notre esprit l’image de yogis et de gourous ascétiques qui, sur les bords du Gange, en position de lotus, s’efforcent par la force de la pensée à se détacher des contingences matérielles afin d’atteindre aux plus hautes sphères du Nirvana. Effectivement, l’Hindouisme et le Bouddhisme se sont rendus célèbres par leurs techniques de méditation et, depuis une centaine d’années, ont attiré les esprits occidentaux, tels l’exploratrice Alexandra David-Néel (1869-1969), dont beaucoup de Juifs, créant ainsi le mouvement des « Jubus, des Juifs bouddhistes »[1]. Le sanskrit, comme le yoga, a trouvé quelque intérêt à partir du dix-neuvième siècle auprès des Occidentaux. Des Hindous tels que Sri Aurobindo (1872-1950) ou Swami Vivekananda (1863-1902) ont fortement influencé les esprits occidentaux. Mais existe-t-il une Méditation juive qui aurait sa propre singularité ? Des pionniers ont jalonné l’histoire juive : Kalonymus Kalman Shapira (ou Klonimus Kalmish Szapiro) (1889–1943), Grand Rabbin de Piaseczno, Pologne; le Rambam (1138-1204), le Rav Kook (1865-1935) … L’un des principaux pionniers modernes de la méditation juive est, sans conteste, le Rabbin Aryeh Kaplan (1934-1983) qui, après avoir abandonné une carrière prometteuse de physicien aux Etats-Unis, s’efforcera toute sa vie de faire découvrir cette Méditation et ses sources aussi bien écrites qu’orales. Le Rabbin Aryeh Kaplan écrira de nombreux livres relatifs à la Méditation juive, à ses sources et à sa pratique, dont le plus célèbre : « Jewish Méditation, A Practical guide » (1985) dans lequel Aryeh Kaplan révèle, entre autres, maintes voies de la Méditation juive. Parmi celles-ci, deux grandes voies, à savoir la contemplation (Hitbonnénout, littéralement « discernement ») et la Hitboddédout (« isolement ou retrait en soi »). Aryeh Kaplan explique que la voie de la contemplation du monde consiste à y révéler la Présence divine. La racine hébraïque du terme « OLaM, Monde » composée de trois lettres « ayin, lamed et Dalet » signifie « cacher, enfouir ». Ainsi, le méditant révèle par la force du discernement les étincelles de lumière de la Présence divine (« Shehina ») disséminées dans l’ensemble de la Création. Un verset des Psaumes fait allusion à l’ensemencement de ces étincelles d’énergie : « La lumière est ensemencée pour le juste, et la joie pour les cœurs droits » (Psaume 97 : 11). Quant à la seconde voie, la Hitboddedout, elle consiste à s’adresser à l’Eternel non point à travers la prière institutionnalisée mais par la prière spontanée. Le méditant, en se retirant du bruit environnant, doit libérer les pensées, les prières et les aspirations personnelles qui, telle une source, jaillissent d’un cœur pur. Cet épanchement du cœur n’est autre que celui de Hanna, la future mère de Samuel. Profondément meurtrie de ne point pouvoir enfanter, Hanna s’adresse directement et avec une grande sincérité à l’Eternel : « L’âme remplie d’amertume, elle pria devant l’Eternel et pleura longtemps ». (I Samuel 1 : 10). Le cri de Hanna est tout empreint de silence : « Hanna parlait en elle-même ; on voyait seulement remuer ses lèvres, mais on n’entendait pas sa voix. » (I Samuel 1 : 13). La prière spontanée de Hanna, modèle de toutes les prières d’Israël selon les Sages d’Israël, s’avère surpasser en puissance celles du Grand-Prêtre Eli!
L’Eternel désire le cœur, l’intériorité de ses créatures ! « L’Eternel est proche de tous ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’appellent avec sincérité. Il accomplit les désirs de ses fidèles, entend leurs supplications et leur porte secours ». (Psaume 145 : 18-19). L’on peut affirmer, d’une certaine manière, que le méditant aspire, sur l’exemple de tous les prophètes d’Israël, à s’entretenir avec l’Eternel.
Moïse s’adresse directement à l’Eternel face à face. Le principal obstacle à ce type de prière spontanée réside dans le fait que l’Homme ne comprend pas pourquoi il se doit de parler à son Créateur qui « sonde les reins et les cœurs » (Jérémie 11 : 20 ; cf. 17 : 10 ; 20 :12). Le but de ce dialogue fécond est de conduire le méditant à prendre pleinement conscience de l’Autre, avec un A majuscule, à savoir l’Eternel, la Source infinie de tout le Bien en ce monde.
Quelle que soit la voie empruntée par le méditant, le dénominateur commun relatif aux deux formes de méditation évoquées ci-dessus réside dans l’attention portée (concentration), l’intention (direction / Kavana : volonté d’adhésion à la lumière divine) et à sa recherche spirituelle.
Pourquoi Méditer?
Le dessein essentiel de la Méditation juive n’est point seulement de créer un vide intérieur et de le maintenir mais surtout de le combler par un contenu d’ordre éthique et spirituel. Cela signifie donc que le méditant, s’il repose dans un premier temps son esprit en y écartant toute pensée étrangère nuisible à l’intention de sa méditation, se doit d’y introduire un sens, un message, une idée positive à même de le conduire à s’améliorer et, par voie de conséquence, à parfaire le monde : « éloigne-toi du mal et fais le bien, recherche la paix et la poursuis ». (Psaume 34 : 15)
Autrement dit, la Méditation juive, loin d’être une technique de relaxation pour soi-même, s’avère être essentiellement une voie de labeur intérieur visant a dialoguer avec le Divin. Les Sages d’Israël dénomment ce labeur, « Avoda ShéBaLev, le culte qui vient du cœur ». Le méditant doit se dépouiller de son ego (ANY) et « annihiler » [AYN) toute forme d’orgueil, d’aspiration aux honneurs et se détacher de toute pensée égocentrique. La Méditation juive doit conduire à s’attacher à la She’hina de l’Eternel, voie intérieure que les Sages d’Israël dénomment Dévékout. Cette notion d’adhésion au Divin est mentionnée à maintes reprises dans le texte biblique : « Et vous qui êtes attachés à l’Éternel, votre Dieu, vous êtes tous vivants aujourd’hui ! » (Deutéronome 4 :4 ; cf. 10 : 20 ; 11 : 22).
Ces sources bibliques inspirent de grands maîtres de la Kabbale comme le Rabbin Moshé Haïm Louzzato [RaM’HaL 1707-1744] qui achève son célèbre ouvrage « La voie des justes, Méssilat Yessharim » par ce principe fondamental de l’adhésion au Divin[2]: « En résumé, la sainteté consiste pour l’homme à s’attacher constamment à Dieu, à un point tel que, quelle que soit l’action qu’il accomplisse, il ne vienne jamais à se séparer de lui ni à s’en éloigner ».
[1] Voir : « Le Juif dans le lotus, Des rabbins chez les lamas » de Rodger Kamenetz, Calmann-Levy, 1997.
[2] « Le Sentier de la rectitude », chapitre 26, « La Porte de Sainteté »., Editions PUF, 1996, p. 204.
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